Petit précis d'ésotérisme et d'alchimie pour une balade parisienne insolite dans le quartier
Calisto-235 proposait, dans la cadre de ses Cake Walk parisiens et par une magnifique journée d'avril 2017, une déambulation insolite dans le quartier Saint Merri - le quartier de Gérard de Nerval. Il y fut question d'ésotérisme, d'alchimie, de lieux occultes. Nous revenons dans cet article sur ce sujet qui méritait qu'on s'y arrête et de faire le point sur nos connaissances en la matière.
QU'EST-CE QUE L'ESOTERISME ?
Il ne pas confondre le substantif « ésotérisme » et l'adjectif « ésotérique ».
L’adjectif vient du grec « esôtirokos » qui signifie « aller vers l’intérieur » et s’oppose à « exoterikos » « vers l’extérieur ».
Ces deux notions sont présentes dans les écoles de sagesse grecques (Aristote) : l’enseignement intérieur est donné aux disciples avancés pendant que l’enseignement extérieur est donné à la foule.
L’enseignement ésotérique s’adresse donc aux initiés.
Le substantif « ésotérisme » n’apparaît qu’au 19e siècle (en 1828 sous la plume de Jacques Matter dans son Histoire critique du gnosticisme) et désigne « un courant de pensée situé en dehors d’une religion précise ».
L’ésotérisme vise à réunifier les connaissances présentes dans toutes les traditions philosophiques et religieuses.
Les principales caractéristiques de l’ésotérisme ainsi défini peuvent se résumer en quelques points fondamentaux :
Derrière l’ensemble des religions et philosophies se cache une religion primordiale de l’humanité. En conséquence, il fait référence à un âge d’or.
La doctrine des correspondances : il existe une continuité entre toutes les parties de l’univers. La Nature est un grand organisme vivant que parcourt un flux, une énergie spirituelle. Une seule pensée magique, ésotérique peut élucider les mystères de cette Nature enchantée.
C’est par son imaginaire et une pensée symbolique que l’être humain va se relier à la profondeur du réel, faisant du symbole le fondement même de l’ésotérisme.
Au-delà du mot, daté du 19e siècle quels sont les fondements de l’ésotérisme ?
Pythagore (1er siecle av.JC) est le premier qui conceptualise l’idée qu’il existe une harmonie universelle et une mathématique sacrée à l’œuvre dans l’univers.
Il faut attendre la fin de l’Antiquité (2e et 3e siècle après JC) pour que naisse l’ésotérisme avec la gnose et l’hermétisme. Pour les gnostiques, seule la connaissance permettra à l’homme de prendre conscience de sa nature divine. L’hermétisme affirme qu’il y a analogie entre la partie et le tout, entre le microcosme et le macrocosme. L’astrologie en est une bonne illustration qui fonde son discours sur le lien qui existerait entre les évènements humains et les évènements cosmiques, en proposant une interprétation symbolique du mouvement des planètes.
La Renaissance découvre la gnose et l’hermétisme avec le redécouverte des textes de l’Antiquité. Pic de la Mirandole (1463-1494) pensait atteindre au savoir universel en réalisant une synthèse des textes de l’Antiquité (comme le Corpus hermeticum traduit par Marsile Ficin pour Côme de Médicis, texte constituant une véritable synthèse de la pensée antique du pythagorisme au néo-platonisme), de la foi chrétienne et de la kabbale juive.
Une prise de pouvoir de la raison
L’époque moderne et le siècle des Lumières rompent définitivement avec le monde des symboles hérité de l’Antiquité et du Moyen-Âge. L’homme occidental se coupe de la Nature et ne la considère plus comme un organisme vivant dont il peut manipuler le flux par la magie ou l’alchime , il n’est plus un « habitant du monde » et devient progressivement « maître et possesseur de la nature ». Processus enclenché en réalité depuis la sédentarisation de l’homme.
Le retour de l’irrationnel
L’homme se distingue de l’animal par sa capacité à symboliser les choses, à associer des éléments séparés. Ce qui a donné naissance à l’art, l’écriture, la religion. Il montre un besoin fondamental de mettre du mystère dans le monde.
Les sociétés secrètes dès le 17e siècle vont à contre-courant de ce désenchantement qui s'accentue avec les Lumières et remettent en valeur la notion fondamentale d’initiation. La Rose-Croix, précurseur de la Franc-maçonnerie, était chargé de transmettre la mémoire d’un mystérieux chevalier du 14e siècle, Christian Rosenkreutz qui avait pour mission d’unifier toutes les sagesses de l’humanité. Le mythe rose-croix s’inspire de celui des Templiers. Depuis la mort du dernier maître de l’Ordre, Jacques de Mollay en 1314, l’imaginaire occidental est hanté par cette croyance en la connaissance et aux pouvoirs occultes des Templiers.
Au 18e siècle cela prend forme avec le mouvement du savant Emmanuel Swedenborg, sorte de religiosité affective, avec les expériences de magnétisme de Franz Mesmer qui tire de ses expériences la conclusion de l’existence d’un fluide invisible habitant la nature.
Et bien sûr la Franc-maçonnerie, aux origines mal connues et dont la première grande loge est créée à Londres en 1717.
Au 19e siècle on assiste à une véritable révolte née du romantisme allemand qui fait suite au Sturm and Drang. C’est le premier mouvement collectif de réenchantement. Selon les Romantiques, l’homme, le cosmos et le divin sont en étroite relation et constituent une harmonie. Ils vont réhabiliter les mythes et les contes (les frère Grimm). Ils ont d’abord fait partie de sociétés secrètes puis se sont tournés vers l’Orient qu’ils idéalisent et qui répond au rêve romantique d’un âge d’or de l’humanité perpétré jusqu’à nos jours.
L’Orient réel prendra hélas vite le pas sur le rêve orientaliste.
L’ésotérisme de la 2nde moitié du 19e siècle
Il hérite de tous les ésotérismes antérieurs : Antiquité, Renaissance, 18e siècle et romantisme allemand. Il souhaite réconcilier la religion et la science dans un savoir unique.
On voit ainsi apparaître :
L’occultisme ;
Le spiritisme (la plupart des grands créateurs à l’instar de Victor Hugo, Claude Debussy, Verlaine, Oscar Wilde, font tourner les tables.) ;
Le scientisme.
La société théosophique est une autre expression de cet ésotérisme moderne. Elle naît aux Etats Unis et entend tirer des enseignements de maîtres spirituels rencontrés soit-disant (ce qui est faux) au Tibet.
Carl Jung et l’anthropologue Gilbert Durand montreront que le « retour de l’irrationnel » est un retour du refoulé de l’homme contemporain qui a besoin de mythes et de symboles.
Et ensuite...
La première guerre mondiale casse tous ces mouvements de spiritualité parallèle.
Il faut attendre les années 60 pour voir naître une nouvelle tentative de réenchantement du monde : c’est la vague New Age (Californie). Elle entend unir la psychologie occidentale à la spiritualité orientale en reliant l’homme au cosmos.
Le divin est identifié à une sorte d’ême du monde, une énergie, la fameuse « force » de La Guerre des étoiles.
Esotérisme, littérature et cinéma
Beaucoup des best-sellers contemporains sont reliés à la veine ésotérique : L’Alchimiste de Paulo Coelho bien sûr mais aussi Le Seigneur des anneaux, Harry Potter, le Da Vinci Code de Dan Brown.
L’ouvrage de Dan Brown cependant est monté sur un vieux ressort de l’ésotérisme : la théorie du complot (les religions cherchent à nous étouffer parce que nous détenons une vérité secrète qu’elles ne veulent pas nous révéler). Il faut rendre grâce à Dan Brown et à l’ésotérisme en général d’avoir apporté un élément de féminisation du divin. Il faut par contre se méfier des dérives sectaires auquel peut mener l’ésotérisme : notions d’élus, de vérité unique, refus du progrès au nom d’une tradition primordiale.
Une belle critique de dérive sectaire se trouve dans les deux romans de Umberto Ecco. Le Nom de la Rose dénonce le délire interprétatif de nature religieuse quand Le Pendule de Foucault met en scène la folie ésotérique.
Et aujourd’hui ?
Il faudrait admettre une bonne fois pour toute que l’être humain est à la fois « sapiens » et « demens », comme ne cesse de le rappeler Edgar Morin, qu’il a autant besoin de raison et d’amour et d’émotion, de connaissance scientifiques et de mythes.