Tout savoir sur le BB_Project !
Si vous n'êtes pas un adhérent assidu de calisto-235, ni un lecteur acharné de nos articles, vous vous demandez peut-être, en voyant apparaître ce "BB_Project" dans nos lettres, de quoi il peut bien retourner !
Projet de recherche dans le domaine du spectacle vivant, il nous a été soumis par Catherine Renée Lebouleux, fondatrice de calisto-235 et désormais directrice de la programmation. Il répond parfaitement à nos objectifs liés à nos thématiques en matière culturelle. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Administration a souhaité le soutenir.
Catherine Renée a bien voulu que nous reproduisions ici les premières étapes de ce projet telles qu'on peut les lire dans son site personnel.
Bonne lecture à la découverte de cet ambitieux projet dont l'acte IV s'ouvre en novembre avec un voyage d'étude au Royaume uni où Catherine Renée devrait rencontrer Brenda Blethyn, Ian Ricketts, l'auteur de la préface de l'ouvrage et les archivistes du British Film Institute.
BB_Project : acte I
Lundi 5 mars 2018
Y a-t-il vraiment un « premier jour » pour un projet ? N’y a-t-il pas plutôt une lente maturation, faite de chemins tortueux, dicibles et indicibles qui vous mènent à cristalliser des impressions diffuses autour d’un fil rouge qui va se dessiner de plus en plus clairement au fil du temps pour finir par faire une trajectoire de plus en plus nette vers un objectif de plus en plus précis ?
Fascinée depuis longtemps par l’art de la scène, le spectacle vivant, je me souviens des longues soirées devant la télévision à me délecter du Cinéma de minuit présenté par Patrick Brion. La danse et la littérature occupaient mes journées, le cinéma ou l’opéra des soirées voire des nuits entières. Passions de jeunesse. Qui ne m’ont jamais quittée. Qui se sont transformées. J’ai peu à peu perdu néanmoins la netteté de ces aspirations au moment même où je les ai confrontées à la réalité, et de mes chers livres, de mes chers grimoires, je suis passée au montage de dossiers et autres échafaudages budgétaires. Au point qu’en fouillant dans mes tiroirs et ma bibliothèque il me semble me plonger dans l’univers d’une autre.
Mais tout ceci est bien moi : ces mots, ces notes de lecture, ces adaptations de textes pour des lectures en musique. Retrouver l’émerveillement du point de départ, retrouver une ligne de fuite, devenait une urgence ! En moi fourmillait le besoin, redevenu vital, d’opérer une jonction entre les tissus assemblés jusque là, une destination encore inconnue et ce que j’ai toujours été : un zèbre kaléidoscopé nourrissant une aversion tenace pour les sentiers battus, incapable de résister à de belles associations d’idées aussi imprévisibles que mouvantes et toutes marquées du sceau de l’ivresse créative. Faire et défaire, rebondir et danser sur le fil incertain d’une corde, on voudrait être Octave…
OCTAVE – Figure-toi un danseur de corde, en brodequins d’argent, le balancier au poing, suspendu entre le ciel et la terre ; à droite et à gauche, de vieilles petites figures racornies, de maigres et pâles fantômes, des créanciers agiles, des parents et des courtisans ; toute une légion de monstres se suspendent à son manteau et le tiraillent de tous côtés pour lui faire perdre l’équilibre ; des phrases redondantes, de grands mots enchâssés cavalcadent autour de lui ; une nuée de prédictions sinistres l’aveugle de ses ailes noires. il continue sa course légère de l’orient à l’occident. S’il regarde en bas, la tête lui tourne ; s’il regarde en haut, le pied lui manque. Il va plus vite que le vent, et toutes les mains tendues autour de lui ne lui feront pas renverser une goutte de la coupe joyeuse qu’il porte à la sienne, voilà ma vie, mon cher ami ; c’est ma fidèle image que tu vois.
ALFRED DE MUSSET : Les caprices de Marianne / Extrait. Acte 1. Scène 1
A la croisée des chemins
Je suis passée de la recherche en histoire contemporaine à une aventure culturelle et artistique sur le terrain, calisto-235 a pris tout mon temps, mes préoccupations, mes heures, mes jours et parfois mes nuits pour tenter de magnifier les expériences professionnelles accumulées jusque-là. Nous avons monté en un peu plus de 10 ans des dizaines de projets, parfois un peu fous, parfois franchement déraisonnables, toujours sincèrement bâtis sur l’envie de partager cette passion pour le spectacle vivant et les artistes. J’ai toujours aimé les artistes et j’ai tâché, toutes ces années, de le leur montrer et de les mettre en valeur dans un contexte local, où la modestie n’empêchait en aucune façon une exigence de qualité et de professionnalisme. Et nous avons reçu de bien belles personnes : Ann-Estelle Médouze, violoniste et super-soliste de l’Orchestre national d’Île de France, Marielle Nordmann, Romain Leleu, Varduhi Yeristsyan, Michel Supéra, L’ensemble baroque La Rêveuse… nous ne pouvons pas tous les citer mais ce fut une belle aventure !
Et comme beaucoup, nous avons vécu un peu au-dessus de nos moyens, maintenus par les subventions locales et territoriales. Et comme beaucoup, nous avons vu les mannes financières se fermer : il a fallu se rendre à la raison et fermer notre Festival « NOMADE, musiques en liberté » en même temps que des événements personnels modifiaient nos vies, les affectant durablement.
Que faire quand on perd un moyen d’expression ? Que devenir ? Comment faire entendre sa voix ? Comment trouver la lumière quand les portes se ferment ?
La seule réponse est de s’ouvrir à ce qui vient, retrouver cette « chambre à soi » (1) indissociable de tout travail créatif, pas cette tour d’ivoire des poètes, mais cet endroit du coeur entre le coeur et soi, cet infime espace immatériel où s’engrangent à votre insu les perceptions du monde et les voix qui les portent. Et ne jamais laisser s’éteindre cette petite lumière intérieure qui éclaire cet espace. Et plus pragmatiquement, ne jamais oublier ce que vous savez faire, vos études, vos compétences, vos réalisations, bref, votre job, que vous avez fait jusqu’ici avec plus ou moins de succès mais toujours avec détermination !
Waiting for Vera…
Comme beaucoup, je suis férue d’intrigues policières au livre, au cinéma, à la télévision. Très jeune, j’étais fascinée par les romans de Maurice Leblanc et Arsène Lupin me donnait la chair de poule. Cette propension à la culture policière ne m’a jamais quittée et fait une sympathique alternative à mes recherches : il ne me déplait jamais de m’installer confortablement pour suivre une bonne enquête policière on the screen.
J’ai découvert l’inspecteur-chef (DCI) Vera Stanhope (1) un dimanche soir frileux et j’ai adhéré immédiatement à l’univers inhabituel de la série, à son énigmatique personnage principal et aux paysages venteux du Northumberland ! Et puis il faut bien avouer que Vera Stanhope m’évoquait furieusement un chef d’établissement dont j’avais été plusieurs années l’assistante, dont j’avais énormément appris, que j’admirais beaucoup et qui nous imposait à tous un rythme que nous mettions un point d’honneur à tenir au prix d’un effort constant. Je revoyais dans le regard de Joe, une sorte de miroir à mes propres souvenirs. Souvenir quand tu nous tiens…
Telles n’étaient pas les seules raisons qui chatouillèrent ma curiosité. Et j’ai très vite fait le lien. Ressurgirent dans ma mémoire, l’excellent Secrets and Lies de Mike Leigh et la superbe et étonnante prestation de Brenda Blethyn dans le rôle de Cynthia Rose Purley. Il n’en fallait pas moins pour m’attacher à la série et ne rater aucun des rendez-vous avec une actrice qui cristallisait un si beau souvenir de cinéma.
La chaîne britannique ITV programma en janvier dernier la saison 8 de la série et je me suis sentie, dans une période extrêmement difficile d’un point de vue personnel, bêtement déçue de devoir attendre plusieurs mois avant la prochaine programmation française, pendant que les aficionados du Commonwealth s’extasiaient sur Twitter de l’excellence de ces derniers épisodes.
Qu’à cela ne tienne, je décidai d’organiser a little personnal and private Brenda Blethyn festival en programmant for myself and in my own room (2) Secrets and Lies, Pride and prejudice, London River dont j’éditai un compte-rendu dans les pages de mon site.
Looking for Brenda Blethyn’s movies…
Comme tout bon chercheur formé à la rigueur universitaire, j’ai bien entendu cherché à en savoir plus, sur les films, sur l’interprète. Un bon nombre d’articles et revues de presse sont disponibles sur Internet et de fil en aiguille, je suis tombée sur l’autobiographie de Brenda Blethyn, Mixed fancies, un formidable texte, vivant et stimulant, capable de remettre en selle n’importe quel individu déprimé – ce qui était mon cas ! Cette lecture fut un vrai sauvetage.
Mais quoi ! J’avais envie de continuer mon voyage anglais, de rester dans le sillage de cette femme enthousiaste à l’incroyable talent, aux performances applaudies tant au cinéma, qu’à la télévision et au théâtre.
Finding a terrific subject for a cultural and artistic research essay
On trouve sur le site du British Film Institute une excellente page consacrée aux dix meilleures performances de Brenda Blethyn. James Clarke, l’auteur de l’article, introduit cette rétrospective avec une courte analyse de ce qui caractérise globalement ses interprétations :
Blethyn’s performances have consistently reminded us of how our moments of nervousness and uncertainty, of happiness and of anger, collide in the interaction between ourselves and the demands of those with whom we share our lives (3).
Voilà exactement de quoi il s’agit. Voilà pourquoi on se sent tellement bouleversé devant telle ou telle scène. Voilà pourquoi Brenda Blethyn est si attachante, pourquoi on passe d’un film à l’autre avec la même envie qu’elle nous en dise plus sur nous-mêmes, sur notre vie parfois absurde et d’une banalité presque affligeante. Ce miroir qui nous est offert, ce prisme de l’art cinématographique, avec ses artifices, ses ellipses, ses registres plus ou moins proches de la vraisemblance, recompose une réalité acceptable tout en sacrifiant à un réalisme qui confine à l’universel.
Me voilà donc en partance pour un voyage anglais. Munie d’une liste de films, d’une autobiographie, d’une honorable abondance d’articles et d’interviews, le corpus commence à s’étoffer et je peux légitimement m’embarquer pour un projet au long cours dont la première étape sera de vivre une saison de cinéma en visionnant l’intégralité de la filmographie de Brenda Blethyn.
Viendra ensuite le temps de l’analyse, des recoupements, des constructions…
Viendra ensuite le temps de l’écriture…
(1) Personnage principal des romans d'Ann Cleeves dont est inspirée la série britannique Vera
(2) Cf., Virginia Woolf « A Room of One’s Own »
(3) Les performances de Brenda Blethyn nous ramènent à nos moments de nervosité et d’incertitude, de bonheur et de colère, montrent comment nos émotions interfèrent avec celles de notre entourage.
